vendredi 11 mai 2007

Rapport de l'Islam avec l'Occident Chrétien

En parlant de la civilisation musulmane, il est intéressant de faire un parallèle entre les invasions germaniques et la conquête arabe. La comparaison mène à certaines constatations qui projettent des lueurs révélatrices sur les origines de cette civilisation. Elle permet de la situer dans son véritable cadre. On sait que, dès ses début, l'Empire romain eut à se défendre, sur ses frontières septentrionales, contre les incursions incessantes des Barbares. Les invasions ne furent que l'achèvement logique, inexorable, d'une menace qui pesa sur Rome tout au long de son histoire. Tant que les vertus morales qui forgèrent l'Empire restèrent intactes, tant que les institutions sociales qui lui assurèrent la force de la durée demeurèrent solide, Rome soutient aisément la pression. Quand ses sources vitales furent taries, quand l'Empire, corrompu dans son sang et ses institutions, s'abandonna, les frontières cédèrent avec une facilité déconcertante et la marée germanique déferla sur l'Empire sans défense. Mais, vaincu et submergée, Rome ne tarda pas à prendre sa revanche sur un plan plus élevé que celui de la force. La victoire morale qu'elle remporta sur les envahisseurs fut rapide et durable. En effet, dès que la conquête fut réalisée, les Germains se mirent avec assiduité à l'école des vaincus. Empruntant à Rome son savoir et ses lois, sa manière de vivre et ses institutions, les vainqueurs se laissèrent docilement apprivoiser par les vaincus, et, dès lors, assimilés, ils continuèrent, comme ils purent, la civilisation romaine. Exemple frappant mais nullement unique, de l'absorption de conquérants grossiers par des vaincus hautement civilisés. L'histoire en connaît bien d'autres. Le plus impressionnant est, peut-être, celui des Mongols vainqueurs de la chine. Un demi-siècle à peine après le commencement de la prodigieuse épopée de Gengis Khan, les rudes cavaliers de la steppe, qui avaient envahi et assujetti la chine, étaient complètement fondus dans la multitude chinoise et les petits enfants de l' " Empereur Inflexible ", devenus de véritables " fils du Ciel ", continuaient la tradition immuable du Céleste Empire. La conquête arabe se présente sous un tout autre aspect. Certes, quelques ressemblances extérieures ne manquent pas. Ainsi, la faiblesse intérieur de Byzance et de la Perse et la pénétration pacifique de l'élément arabe dans les provinces limitrophes des deux Empires facilitèrent grandement la tâche des vainqueurs. Mais les guerres qui ont assuré le triomphe de l'Islam n'ont pas eu ce caractère d'usure lente et incessante que revêtit la pénétration barbare. L'attaque arabe surprit et déborda l'Empire. La conquête de la Syrie et de l'Egypte fut foudroyante. Ce ne sont d'ailleurs pas les conditions extérieures de la conquête qui importent. Ce sont ses conséquences morales qui sont pleines d'intérêt et d'enseignements. Tandis que les Germains, au contact des Romains, se romanisèrent rapidement, c'est exactement le contraire qui arrive aux provinces annexées par les Arabes. Loin d'imposer aux vainqueurs leurs lois, leurs langue et leurs mœurs, ce sont les anciens sujets romains qui s'arabisent dès qu'ils sont conquis par l'Islam. Et pourtant aucune contrainte n'est exercée sur les Chrétiens ou les Juifs. " Aucune propagande, ni même, comme chez les Chrétiens, après le triomphe de l'Eglise, aucune compression religieuse. " (Henri Pirenne : Mahomet et Charlemagne. Paris 1937). Le vaincu ira spontanément au vainqueur et l'emprise de la langue arabe se révèlera si puissante, qu'en Espagne, au IX siècle, les Chrétiens ne sauront plus le latin et les textes des conciles même devront être traduits en arabe. Pourquoi donc les Arabes, qui n'étaient certainement pas plus nombreux que les Germains, n'ont-ils pas été absorbés comme eux par les populations des régions conquises, dont la civilisation était supérieur à la leur ? D'ou provient cette force d'attraction qui pousse les Grecs, les syriens, les Egyptiens, dépositaires à la fois des civilisations antiques et de la civilisation Chrétienne, à se rapprocher aussi rapidement que possible de la société musulmane ? Il n'est qu'une réponse à cette question, dit Henri Pirenne, et elle est d'ordre morale. " Tandis que les Germains n'ont rien à opposer au Christianisme de l'Empire, les Arabes sont exaltés par une foi nouvelle. C'est cela et cela seul qui les rend inassimilables. Car pour le reste, ils n'ont pas plus de préventions que les Germains pour la civilisation de ceux qu'ils ont conquis. Au contraire, ils se l'assimilent avec une étonnante rapidité. En science, ils se mettent à l'école des Grecs, en art à celle des Perses…ils ne demandent pas mieux, après la conquête, que de prendre comme un butin la science et l'art des infidèles ; ils les cultiverons en l'honneur d'Allah. Ils leur prendront même leurs institutions dans la mesure où elles leur seront utiles. ". Les conquêtes musulmanes, surtout celles de l'Afrique du Nord et de l'Espagne, au début du VIIIe siècle, déplacent le centre de gravité de la vie économique de l'époque. La Méditerranée occidentale devient musulmane. L'Empire franc, qui n'a pas de flotte, voit son commerce maritime avec l'Egypte et la Syrie coupé. Byzance, qui faisait le trafic entre les ports de l'Occident et du Levant, commande encore une flotte puissante. Elle lui assure la suprématie dans la Méditerranée orientale, mais ses navires n'osent plus s'aventurer au-delà du détroit de Sicile. Naples, Gaète et Amalfi possèdent, elles aussi, des flottes ; mais leurs intérêts commerciaux les poussent à se rapprocher des Musulmans. C'est grâce à leur complicité que les Arabes ont pu prendre la Sicile. Les khalifes, en guerre contre Byzance, ne permettent naturellement pas à leurs sujets d'entretenir des relations commerciales avec l'ennemi. La méditerranée est ainsi divisée en deux bassins qui ne communiquent guère. Lorsque, à la fin du IXe Siècle, la guerre enfin terminé, la paix revient, l'activité économique des provinces conquises s'oriente vers de nouvelles destinées. L'immensité même de la conquête musulmane ouvre au négoce de nouveaux horizons et des voies nouvelles. L'islam forme un monde qui se suffit à lui même. Il n'y a plus de frontières entre les peuples conquis. Les marchandises circulent librement de la Chine aux Pyrénées. C'est vers Bagdad, capitale splendide des khalifes abbassides, dont la magnificence éclipse tout ce que le monde a connu jusqu'alors, que converge la vie économique de l'Empire. Certes, l'Empire carolingien présente un tableau plus sombre. Etat purement terrien, il se trouve désormais à l'écart des grandes voies maritimes de commerce. Son économie périclite. Dans la recherche de nouvelles voies, il se trouve obligé de tourner le dos à la mer. Le centre de gravité de l'Empire, se déplace vers le nord. Les peuples germaniques, qui n'ont joué jusqu'alors qu'un rôle destructeur dans l'histoire, entrent dans le circuit économique et culturel de l'Europe. Ils vont devenir désormais un des facteurs essentiels de la civilisation occidentale. Mais, s'il paraît indiscutable que la conquête musulmane a singulièrement ralenti les échanges commerciaux entre les ports de l'Occident et de Levant et déterminé la nouvelle orientation de l'Empire carolingien, il est certainement erroné de croire que les courants culturels en furent sérieusement affectés, qu'une rupture de la civilisation méditerranéenne s'en soit suivie. A l'encontre de l'opinion courante, et avec des raisons plausibles, le contraire peut être affirmé. Il ne sied pas, en effet, de confondre la circulation des marchandises avec celle des savants, des artistes et des pèlerins. Cette dernière, stimulée aux débuts de la conquête arabe, ne fut jamais entravée par la suite. De même, durant des siècles, les rapports politiques entre l'Orient musulman et la Chrétienté furent exempts de ce caractère d'intolérances haineuse qu'il revêtirent avec les Croisades. Ils furent régis par la raison d'Etat et les intérêts dynastiques. Les rapports qui se nouèrent entre Charlemagne et Harûn al-Rachid en est une des illustrations. On a beaucoup écrit sur l'ambassade envoyée à Bagdad par l'empereur de l'Occident, sur la magnificence de l'accueil qui lui avait été réservé par le khalife, sur les somptueux cadeaux qui auraient vivement frappé l'imagination des contemporains. Certains historiens, à la lumière des recherches nouvelles, sont portés à considérer ces récits comme une légende.

Aucun commentaire: