vendredi 11 mai 2007

L'Expansion de L'Islam

L'expansion de l'Islam, au VIIe siècle ne notre ère, est peut être l'un des faits les plus frappants de l'histoire. C'est aussi un événement qui nous fait saisir sur le vif la transposition sur le plan politique de la prédication du Prophète. En effet, le premier siècle de l'Hégire ne nous présente pas seulement la religion musulmane dans sa pureté doctrinale originelle ; il nous fait assister à l'application, sur une vaste échelle et à des peuples divers, des principes moraux et des préceptes sociaux du Coran. Il met en lumière les causes essentielles qui ont contribué aux succès de l'Islam à cette époque. Il ne serait donc pas inutile de s'arrêter quelque peu sur ce qu'était l'Orient au moment de l'apparition de Mohammed. Deux puissances occupent alors l'avant-scène du monde connu de l'Europe, l'Empire romain d'Orient d'un coté, l'Empire perse sassanide de l'autre. Epuisé par des guerres extérieures incessantes, minés par de graves désordres intérieurs, les deux Empires historiques sont en pleine décadence. Byzance, dont le contrôle s'étend sur le midi de l'Europe, l'Asie antérieur et le nord de l'Afrique, de l'Egypte à l'Océan Atlantique, fait certes encore grande figure. Mais " c'en est fait du rêve ambitieux de Justinien : tout au long du VIIe siècle, nous le voyons peu à peu s'effriter implacablement. L'Occident est arraché à Byzance, et elle perd quelques-unes de ses plus belle, de ses plus riches provinces Orientales. Il semble que sa fierté se soit abolie, que son âme l'ait abandonnée…Sous les assauts répétés qu'elle subit, elle perd la seule foi qui remplaçait pour elle le patriotisme des Romains, la foi dans son triomphe. Dès lors, tous les conflits s'exaspèrent ; le goût de créer l'abandonne ; sa religion, de plus en plus formaliste et rituelle, s'oriente vers les pratiques superstitieuses ; elle vit, elle survit, au jour le jour, écrasée sous son matérialisme. " (Auguste Bailly : Byzance. Paris 1939). Constantinople, métropole prestigieuse, continue cependant d'être le point de mire du monde civilisé. Animé, fastueuse, elle continue de pomper les richesses de l'Empire et de pressurer les peuples subjugués. Une société brillante et frivole s'y adonne aux plaisirs de la vie et aux vaines disputes religieuses. Pas si vaines pourtant qu'on l'a souvent dit ; car, derrière elles, presque toujours, se cachent les appétits matériels et les ambitions politiques des groupes antagonistes. La classe dirigeante, l'ancienne aristocratie des vainqueurs, avilie par des croisements avec tous les peuples vaincus, perd l'antique vertu de la race. Dominée par l'esprit de lucre et de jouissance, elle ne remplit plus son rôle social. L'Empire n'est plus gouverné. Les provinces, livrées aux exactions de gouverneurs avides, sont en proie à l'anarchie. Les rares villes échappées aux dévastations de guerres perpétuelles entre Romains et Perses prospèrent encore, mais les citadins ne s'intéressent qu'au commerce, à la spéculation et aux controverses dogmatiques. Il est difficile, de nos jours, de se faire une idée exacte de l'aigreur, de l'acuité de ces controverses théologiques, qui énervaient à si haut degré les Byzantins. La violence des passions qu'elles suscitaient tenait à la nature même du pouvoir de l'Empereur, représentant, sinon émanation même de la divinité sur terre. La forme de l'autocratie byzantine, où le monarque était souverain spirituel, transposait constamment les discordes politiques ou financières du plan temporel sur le plan religieux. Telle ou telle solution des querelles dogmatiques avait des conséquences pratiques et matériels immédiates. Dans la première moitié du VIIe siècle, cette controverse étaient surtout alimentées par la rivalité acharnée des deux doctrines en lutte, l'orthodoxie byzantine et le monophysisme. L'intolérance et les persécutions de l'Eglise de Constantinople exaspéraient les fidèles de l'Eglise dissidente. En Syrie et en Egypte, où les monophysites prédominaient, les tendances séparatistes n'attendaient qu'une occasion favorable pour se manifester. Le prestige de l'Etat n'exerçait plus aucune attraction sur ces masses moralement divisées. Aucun idéal commun, aucun " mythe ", comme aurait dit Georges Sorel, n'unissait les forces disparates de l'Empire. L'indifférence ou la haine envers Constantinople étaient peut-être les seuls sentiments communs à ses peuples. La Perse n'était pas en meilleure posture. Plus encore que Byzance, elle était épuisée par des guerres, anciennes et récentes. La terrible défaite que lui infligea l'Empereur Héraclius, en été 627, dans la plaine de l'ancienne Ninivie, où l'armée de Chosroes Parvis fut taillée en pièces, et les graves troubles qui s'ensuivirent, achevèrent la puissance sassanide. En butte aux incessantes incursions des Khazars, du côté du Caucase, et des Turcs de la Bactriane, déchirée par les guerres civiles et l'anarchie de la Perse n'était guère capable d'opposer une résistance sérieuse au choc terrible que devait lui porter l'armée de l'Islam. Comme toutes les religions qui l'ont précédé et se sont imposées aux multitudes humaines, l'Islam a paru en son temps et en son lieu. Il a répondu aux aspirations profondes d'une époque, aux espérances secrètes d'un milieu. Aux masses, physiquement souffrantes, moralement désemparées, courbées sous le joug de maîtres souvent étrangers, il apporta la promesse de la libération et du salut. Il annonça une ère nouvelle de justice et de charité. La cité universelle sont l'Islam entreprit la construction, ne reconnaissait aucune distinction de race ou de condition sociale ; sa seul règle devait être la justice égale et la fraternité. On ne saurait assez le répéter, Mohammed fut non seulement le Prophète d'une grande religion, qui a répondu aux besoins spirituels d'un monde assoiffé de monothéisme pur, mais il fut aussi, d'aucuns diront peut-être surtout, l'annonciateur d'une des plus grandes révolutions sociales et internationales que l'histoire ait connues. Il n'est pas douteux que c'est surtout ce côté populaire et révolutionnaire de l'enseignement du Prophète qui gagna à l'Islam les cœurs des foules et lui assura une très grande faculté d'expansion. C'est ce côté encore qui, une fois de plus, rapproche l'Islam du Christianisme, dont la prédication fut aussi nettement révolutionnaire. Mais le Christianisme primitif n'a pas tiré les conséquences politiques des principes d'amour et de fraternité prêchés par l'Evangile. Prescrivant de rendre à César ce qui était à César, il ne fut révolutionnaire que par le refus de s'associer au culte officiel de l'Empereur. Son attitude vis-à-vis des pouvoirs temporels fut intentionnellement passive. Tourné vers le royaume de Dieu, il se désintéressait des royaumes terrestres. L'Islam, au contraire, a mis au service d'Allah et de l'ordre prescrit par Lui sur la terre, la puissance de son armée. Le nom d'Allah retentit, comme un cri de guerre, pour le renversement des fausses idoles et l'établissement dans le monde d'un règne de justice sociale. Paladins de l'unité de Dieu et de l'égalité des hommes, les guerriers de l'islam se croyaient investit d'une mission divine. Cette croyance engendrait un héroïsme admirable dans le combat, un mépris absolu de la mort. Jamais les soldats d'Allah n'hésitaient à sacrifier leur vie pour leur idéal. Aucun bien d'ici-bas ne leur paraissait comparable aux délices de la vie future promise aux martyrs de la guerre sainte.

Plus d'une fois, il est arrivé, au cours de l'histoire de l'humanité, à des forces numériquement faibles et techniquement inférieures, de battre des adversaires matériellement plus puissants et supérieurs en nombre. En pareils cas, c'est toujours dans l'esprit de sacrifice, dans le mépris des biens terrestres, dans la foi " qui soulève des montagnes " qu'il faut chercher l'explication, décisive, de la victoire. C'est l'esprit qui triomphe de la matière. Il n'en fut pas autrement pour les conquêtes musulmanes. Les croyances religieuses, d'adoration de la patrie, la soif de l'indépendance peuvent être considérées, du point de vue philosophique, comme pure produit de l'imagination, comme de vaines et stériles illusions. Mais aucune réalité n'a été plus puissante que ces chimères. Ce sont elles qui ont éclairé, à travers les siècles, la marche douloureuse de l'humanité. Ce sont elles qui ont inspiré les plus orgueilleuses constructions politiques et sociales que l'histoire ait enregistrées, ce sont elles qui ont donné aux hommes de génie la force et la patience d'accomplir tout ce qui est grand, constructif et fécond dans le domaine de l'esprit, tout ce qui constitue les lettres de noblesse et la justification devant l'Eternel de l'existence humaine. " Ce qui importe dans le sacrifice, c'est le sacrifice même. Si l'objet pour lequel on se dévoue est une illusion, le dévouement n'en est pas moins une réalité ; et cette réalité est la plus splendide parure dont l'homme puisse décorer sa misère morale " (Anatole France : Le livre de mon ami. Paris 1896). Le culte de la cité, et Rome demeura maîtresse du monde tant que les Romains n'hésitèrent pas à sacrifier leur vie pour la grandeur de l'Urbs. Quand cette croyance disparut, les descendants abâtardis les héros qui avaient fondé la majesté de Rome assistèrent, impuissants et misérables, à la destruction de l'Empire. Il serait peu sérieux de prétendre que l'armée musulmane n'était composée que de saints, que le mirage des villes fabuleuses des deux empires n'exerçait aucune attraction sur l'imagination enflammée des fils du désert. Cela aurait été contraire à la nature humaine. Mais on peut affirmer, sans tomber dans l'exagération, que l'appât du butin ne jouait qu'un rôle secondaire pour la masse des guerriers, entraînée par l'élan religieux. Quant aux chefs, ils n'étaient guidés que par leur foi. Mais la disproportion des forces entre les deux plus grands empires de l'époque et l'Etat arabe qui venait de naître, était trop grande. Le seul facteur moral qui détermina l'élan impétueux des guerriers de l'Islam n'aurait certes pas suffi pour vaincre les armées organisées et instruites de Byzance et des Perses, si les Arabes n'avaient appris, à l'école même de leurs adversaires, l'art de la guerre. Cet art, que les tribus arabes ignoraient totalement, les Romains et les Perses le possédaient encore à un très haut degré. Les premières rencontres avec des armées régulières, qui tournèrent à leur détriment, firent voir aux arabes la nécessité d'adopter les méthodes de guerre de leurs adversaires. Les nombreux instructeurs et ingénieurs byzantins et perses attirés par la foi de l'Islam servirent de maîtres aux arabes. Au bout de quelques années, les tribus arabes, dont les guerres n'avaient été jusque-là que razzias, charges impétueuses de masses indisciplinées où chacun combattait pour soi-même, se transformaient en une armée disciplinée, instruite, parfaitement capable d'utiliser tous les engins de guerre connus à l'époque. " Les Sarrasins, dit le Beau à propos du siège de Damas, en 634, ayant appris aux Arabes qui avaient servi dans les troupes de l'Empire, la fabrique et l'usage de machines e guerre, battaient la ville avec violence. " (Le Beau : Histoire du bas-Empire. Paris 1768). Fait remarquable, cette armée a trouvé les chefs qu'il lui fallait, chefs de tout premier ordre comme Khaled ibn Walid, le grand général du règne du khalife Abû Bakr, ou le conquérant de l'Egypte, Amr ibn al-As, et d'autres encore, qui surgissent du désert, pleins de talent militaire et de science. Il y a, dans l'existence des peuples, des périodes marquées par une plénitude extraordinaire de vie, par une tension extrême de toutes les facultés humaines, quand les hommes supérieurement doués apparaissent de partout et impriment sur le cours des événements le sceau de leurs fortes personnalités. Tels fut l'époque de la Renaissance en Italie, le Grand Siècle en France. Tels furent les premier siècles de l'Hégire en Arabie, qui donnèrent naissance à toute une lignée de grands souverains, d'excellents capitaines, d'administrateurs et, aussi et surtout, à une pléiade d'écrivains, de savants et d'artistes remarquables. Quand on tient compte de ces faits, la conquête arabe n'apparaît plus comme un miracle. On est obligé de reconnaître qu'elle fut l'effet naturel d'une force bien organisée et supérieurement commandée, mise au service d'un idéal sublime auquel tous les guerriers de l'Islam, en commençant par le général en chef, et jusqu'au dernier des soldats, furent prêts à faire avec joie le sacrifice de leur vie. Un coup d'œil rapide sur les premières campagnes des khalifes Abû Bakr et Omar nous donnera une illustration. Avant de mourir, Mohammed eut la satisfaction de voir accomplie l'unité morale et politique de la nation arabe. Les idoles avaient été détruites. Le sanctuaire de la Kaaba avait été transformé en mosquée. Les tribus païennes du Yémen, du Hadramaout, de l'Oman et du Nedjd converties, toute l'Arabie ne formait plus qu'un seul peuple, adorant un seul Dieu. Déjà, quelques années avant la reddition de la Mecque, Mohammed avait envoyé des ambassadeurs à l'Empereur de Byzance, au roi de Perse, au gouverneur de l'Egypte, pour les inviter à se convertir à la vraie religion, sont il se disait l'annonciateur. Il va sans dire qu'une telle prétention, émanant d'un obscur chef des déserts arabiques, parut aux puissants et orgueilleux monarques auxquels elle s'adressait, comme une plaisanterie déplacée et insolente. Les ambassadeurs revinrent sans qu'on eût daigné leur donner réponse. Mais la décision du Prophète de porter la parole divine à tous les peuples infidèles et de les convertir à la foi d'Allah était inébranlable. L'immensité de la tâche ne l'arrêta pas un seul instant. Il la mesurait à la profondeur de sa foi. La grande épopée musulmane allait commencer. Une armée de trente mille hommes fut levée. Elle était destinée à affronter Byzance. Voici en quels termes le Prophète s'adressait à cette armée qui devait combattre, et dont la mission, dans la pensée du Prophète, était de convertir et de construire, non de détruire. " Au non de Dieu clément et miséricordieux, n'usez ni de fraude ni de ruse, ne tuez pas les enfants. Quand vous combattez une armée ennemie sur son territoire, n'opprimez pas les habitants paisibles du pays. Epargnez les faibles femmes. Ayez pitié des enfants à la mamelle et des malades. Ne détruisez pas les maisons. Ne bouleversez pas les champs. Ne dévastez pas les vergers, ne coupez pas les palmiers. " On sait que Mohammed mourut sans voir le commencement de la grande campagne qu'il avait préparée. C'est à ses successeurs immédiats, Abû Bakr et Omar que fut réservé de présider à l'expansion de l'islam au dehors de l'Arabie. La haute valeur morale et la sagesse de ces deux premiers khalifes, qui mirent en pratique les préceptes sociaux et les idées politiques du Prophète, contribuèrent beaucoup aux premiers triomphes de l'armée arabe. Il ne serait pas déplacé de rappeler ici quelques traits de leurs caractères, de citer quelques-uns de leurs actes, qui éclairent leur attitude en tant que souverains, capitaines d'armées et administrateurs. Rien ne caractérise mieux le premier vicaire du Prophète que le discours qu'il tint à ses compagnons lors de son investiture à la charge suprême : " Me voici chargé du soin de vous gouverner ; si je fais mal, redressez moi ; dire la vérité au dépositaire du pouvoir est un acte de zèle et de dévouement, la lui cacher est une trahison ; devant moi, l'homme faible et l'homme puissant sont égaux ; je veux rendre à tous impartial justice ; si jamais je m'écarte des lois de Dieu et de son Prophète, je cesserai d'avoir droit à votre obéissance. " Lors de son court règne (trois ans à peine) Abû Bakr ne dévia jamais de l'attitude qu'il s'était assignée. C'est grâce à sa rectitude, à sa loyauté et à sa fermeté que l'Islam surmonta le remous que provoqua la disparition de Mohammed, mort sans désigner son successeur. Citons un autre discours du même khalife, adressé à ses lieutenants civils et militaires. Il jette une vive lumière aussi bien sur l'homme que sur les méthodes de gouvernement qui assurèrent le succès des premiers pas de l'Islam. " N'opprimez pas les populations. Ne les provoquez pas inutilement. Soyez bons et justes, le succès sera votre récompense. Quand vous rencontrerez l'ennemi, attaquez le courageusement. Si vous sortez vainqueurs du combat, ne tuez ni les femmes ni les enfants. Epargnez les champs et les maisons. Si vous concluez un traité, observez-en les clauses. Dans les pays chrétiens, vous rencontrerez sur votre route des hommes pieux, qui servent Dieu dans les églises et les monastères. Ne les molestez pas. Ne détruisez ni leurs églises ni leurs monastères. " Abû Bakr eut surtout à consolider l'héritage moral et politique de Prophète. Il prépara ainsi le grand règne de Omar. Le khalife Omar, la plus grande personnalité de l'Islam après Mohammed, domine l'histoire de la conquête arabe. Par beaucoup de traits de caractère et par sa vie privé, rappel son prédécesseur. Tout deux, comme Othman et Ali, respectivement troisième et quatrième khalife, conservèrent le train de vie simple du Prophète. Rien en eux n'indiquait le souverain : " Abû Bakr ne laissa à sa mort que l'habit qu'il portait, le chameau qu'il montait et l'esclave qui le servait. Pendant sa vie, il ne s'était alloué que cinq drachmes par jour sur le trésor public, pour sa subsistance. " (G. Le Bon : Civilisation des Arabes). Omar portait une robe rapiécée et dormait parfois sur les degrés d temple, parmi les indigents. Cette simplicité, ce désintéressement total du Commandeur des Croyants ont vivement frappé les historiens de l'Islam : " Il ne faut pas louer Omar pour sa justice et son désintéressement, dit Tabari, car il y a eu des souverains justes avant lui, qui se sont abstenus de toucher au trésor public, et il y en aura après lui. Mais ce qui est admirable dans le caractère de ce khalife, c'est que, lorsqu'il fut arrivé au pouvoir, il ne changea absolument rien à ses habitudes ; et il est resté fameux pour sa frugalité et la simplicité de ses vêtements. Il a occupé le pouvoir pendant plus de dix ans et, chaque jour, il voyait partir une expédition et arriver la nouvelle d'une victoire. Chaque jour, il y avait un événement heureux ; on apportait constamment des richesses. Il conquit le monde, abaissa tous les souverains, fonda des villes telles que Basra et Koufah et régla les affaires administratives et l'impôt. Ses armées pénétrèrent à L'Est jusqu'aux bords du Djaihoun, au Nord jusqu'à L'Azerbaïdjan, jusqu'à Derbend des Khazars et au mur de Gog et Magog ; au Sud jusqu'aux pays du Sind et de l'Inde, dans l'Oman, le Bahreïn, le Mokran et le Kirmân, à l'Ouest jusqu'aux frontières de pays de Roum. Les habitants de tous ces pays furent ses sujets et entrèrent dans son obéissance. Et malgré toute cette puissance, Omar ne changea pas la moindre chose dans sa manière de vivre, dans sa façon de manger, de dormir, de s'habiller, de parler. " (Tabari : Chronique). Lorsque après quatre mois de siège de Jérusalem par les armées musulmanes, le courageux défenseur de la ville sainte, le patriarche Sophronius décida de capituler, il mit comme condition que la ville serait rendue à Omar en personne. Le khalife quitta Médine, accompagner d'un seul serviteur, n'ayant pour bagage qu'une outre d'eau et un sac d'orge et de dattes. Marchant jour et nuit, il arriva à Jérusalem. Il n'entra dans la cité sainte qu'avec un petit nombre de compagnons. Reçu par le Patriarche et par les habitants, il leur déclara qu'il étaient en sûreté, qu'un traitement de faveur serait accordé à la ville, que la vie et les biens de tous les habitants seraient garantis, que les églises et les lieux saints seraient respectés. D'après la tradition chrétienne, le khalife aurait visité les saints de pèlerinage, s'informant de leur histoire. Arrivé à l'église de la Résurrection, il se trouva être l'heure de la prière. " Le patriarche l'invita à prier dans l'église ; mais il se refusa en disant qu'une église où il aurait prié deviendrait musulmane et qu'il ne voulait pas déposséder les chrétiens " (Carra de Vaux : Les penseurs de l'Islam).

Cette attitude du khalife, qui montre avec quelle douceur les conquérants arabes traitaient les vaincus, contraste singulièrement avec celle des Croisés qui s'emparèrent de la ville sainte le 15 juillet 1099. Voici la description du massacre de 10.000 Musulmans réfugiés dans la Mosquée d'Omar, faite par Raymond d'Agiles, chanoine du Puy : " Il y eut, dit il, tant de sang répandu dans l'ancien temple de Salomon que les corps morts y nageaient, portés çà et là sur le parvis ; on voyait flotter des mains et des bras coupés qui allaient se joindre à des corps qui leur étaient étrangers, de sorte qu'on ne pouvait distinguer à quel corps appartenait un bras qu'on voyait se joindre à un tronc. Les soldats eux-mêmes qui faisaient ce carnage supportaient à peine la fumée qui s'en exhalait " (Sans commentaires). L'histoire fournit plusieurs cas de conquêtes dues à la supériorité des armes ; mais il y a peu d'exemples qu'un ordre imposé et perpétué uniquement par la force se soit révélé fécond et durable. La sagesse des premiers successeurs de Mohammed se montra surtout dans leur attitude pleine de mansuétude et de compréhension à l'égard des peuples vaincus, qui fut une conséquence naturelle de leur foi, se révéla comme une suprême habilité politique. Comme nous l'avons vu, dès les premières rencontres avec les armées byzantines et perses, les Arabes se trouvèrent en présence de populations subjuguées, tyrannisées par leurs maîtres, assoiffées d'équité et de justice, prêtes à accueillir avec soulagement n'importe quel conquérant pourvu qu'il leur rendît la vie plus tolérable. Dès lors, la conduite à suivre était clairement tracée. Partout où ils portèrent leurs armes, Abû Bakr et Omar se présentèrent en libérateurs, en messagers d'une ère nouvelle de tolérance et de justice. Lorsque la conquête fut assurée, les khalifes, avec une parfaite maîtrise de soi, surent dominer leur victoire. Se conformant aux prescriptions coraniques, ils repoussèrent toute idée de conversion forcée. Ecartant toute mesure qui pouvait aller à l'encontre des usages et des coutumes des peuples incorporés, ils se contentèrent d'un modeste tribut, très inférieur aux impôts qui les accablaient auparavant. En garantissant la sécurité de leurs nouveaux sujets, en captant leur confiance, ils assurèrent leur propre domination et donnèrent une assise solide à leur empire " La mansuétude islamique réussit même ce prodige que n'avait pu réaliser Byzance, d'établir la paix, sinon l'union entre l'orthodoxie et le monophysisme. " (Auguste Bailly : Byzance. Paris 1939). Les deux compagnes qui ouvrirent l'ère des conquêtes arabes, la campagne de Syrie et celle d'Egypte, sont particulièrement caractéristiques des méthodes arabes. " La conquête de l'Orient par les Arabes ne date pas de Mahomet. Bien avant lui, les tribus du désert s'étaient glissées sur les confins du monde byzantin et du monde perse, profitant de toutes les défaillances des deux gouvernements pour poursuivre silencieusement leur conquête anonyme. " (René Grousset : Histoire de l'Asie. Paris 1921). On sait que cette pénétration pacifique aboutit, au VIe siècle, à la création de deux émirats arabes, l'un, l'émirat Ghassanide au Haran, l'autre, l'émirat Lakhmide, sur la rive droite de l'Euphrate, relevant de l'Empire perse. Les raisons religieuses n'ont joué aucun rôle dans ces premières incursions des arabes dans les provinces limitrophes des empires voisins. Des mobiles purement économiques ont déterminé ces premières poussées des tribus du désert, en quête de terres vastes et fertiles capables d'assurer l'existence d'une population croissante et affamée. Cette pénétration graduelle fut pourtant suffisamment profonde pour que la Syrie fût presque complètement arabe, au moment où le premier khalife, Abû Bakr y pénétra, en 634. C'est donc en libératrice du patrimoine national que l'armée arabe se présenta devant les frontières de l'Empire d'Orient. Rien de plus caractéristique, à cde point de vue, que la sommation faite par le général commandant les forces musulmanes, Khaled, aux Byzantins : " Dieu a donné cette terre à notre père Abraham et à sa postérité. Nous sommes les enfants d'Abraham. Vous avez assez longtemps possédé notre pays " Ce langage ne pouvait ne pas aller au cœur des populations arabes ou arabisées que les maîtres étrangers tyrannisaient depuis des siècles. La conquête de la Syrie toute entière se fit au milieu d'une population qui accueillait les conquérants non seulement sans résistance, mais avec sympathie. Les tentatives du vieil empereur Héraclius pour organiser la défense du territoire échouèrent lamentablement. Les victoires d'Ainadzein (634) et de Yarmouk (636) assurèrent aux Musulmans la domination de la Palestine et de la Syrie. Damas fut prise en 635, Jérusalem en 637, Antioche en 638. Il n'en fut pas autrement lors de la conquête de l'Egypte. Quand elle fut tentée en 640, par Amr ibn al-As, le célèbre lieutenant d'Omar, le pays était dans un état d'anarchie intérieur très avancée. Ruiné par les exactions des gouverneurs, déchiré par les luttes des multiples sectes chrétiennes, il était en révolte latente contre Constantinople. " A la veille de l'invasion musulmane, écrit René Grousset, l'Eglise Monophysite d'Egypte était en lutte ouverte contre les autorités byzantines. En haine des Grecs, le patriarche monophysite Benjamin n'hésita pas à s'entendre avec les Arabes. Les Melkhites eux-mêmes, Coptes de rite grec, trahirent le gouvernement impérial. Un de leurs plus hauts prélats, Makaukis ou Makaukas, s'entendit lui aussi avec les Arabes pour chasser les Byzantins. Lorsque les Arabes, conduit par Amr ibn al-As, franchirent l'isthme de Suez, toute la nation copte, se soulevant contre Byzance, les accueillit en libérateurs. Les garnisons perdues au milieu d'un peuple en révolte, ne purent opposer à l'invasion qu'une résistance insignifiante. " (René Grousset : Histoire de l'Asie). La sagesse politique d'Amr ibn al-As fut à la hauteur de ses talents militaires. Il se révéla digne lieutenant de son Maître. Voici une proclamation qu'il avait lancée en l'an 639 aux habitants de la ville de Gaza, et qu'il réédita à l'usage des Egyptiens : " Notre Maître ordonne de vous faire la guerre si vous ne recevez pas notre loi. Soyez des nôtres, devenez nos frères, adoptez nos intérêts et nos sentiments et nous ne vous ferons pas de mal. Si vous ne voulez pas, payez-nous un tribut annuel avec exactitude, tant que vous vivrez, et nous combattrons pour vous contre ceux qui viendront vous nuire et qui seront vos ennemis de quelque façon que ce soit et nous vous garderons fidèle alliance. Si vous refusez encore, il n'y aura plus entre vous et nous que l'épée et nous vous ferons la guerre jusqu'à ce que nous ayons accompli ce que Dieu nous commande " En échange d'une liberté religieuse complète, de la sécurité des biens privés et de la justice égale pour tous, le conquérant proposa la substitution aux impôts excessifs et arbitraires de Byzance, qu'un modeste tribut annuel. " Les habitants des provinces se montrèrent tellement satisfait de ces propositions, écrit Gustave Le Bon, qu'ils se hâtèrent d'adhérer au traité et payèrent d'avance le tribut. Les Arabes respectèrent si religieusement les conventions acceptées et se rendirent si agréables aux populations soumises autrefois aux vexations des agents chrétiens de l'empereur de Constantinople, que toute l'Egypte adopta avec empressement leur religion et leur langue. C'est là, je le répète, un de ces résultats qu'on n'obtient jamais par la force. Aucun des peuples qui avaient dominé en Egypte avant les Arabes ne l'avait obtenu. Au contact des Arabes, des nations aussi antiques que celle de l'Egypte et de l'Inde ont adopté leurs croyances, leurs coutumes, leurs mœurs, leur architecture même. Bien des peuples, depuis cette époque, ont dominé les régions occupées par les Arabes, mais l'influence des disciples du Prophète est restée immuable. Dans toutes les contrées de l'Afrique et de l'Asie où ils ont pénétré, depuis le Maroc jusqu'à l'Inde, cette influence semble s'être implantée pour toujours. Des conquérants nouveaux sont venus remplacer les Arabes : aucun n'a pu détruire leur religion et leur langue. " (G. Le Bon : Civilisation des Arabes). A l'encontre des Barbares qui envahirent le monde romain ou ravagèrent les pays de l'Orient, et qui ne firent que détruire, les Arabes fondèrent une brillante civilisation. Tous les peuples qui avaient embrassé l'Islam lui apportèrent leur contribution. Comme la civilisation chrétienne, la civilisation musulmane porte l'empreinte indélébile de l'esprit méditerranéen, et puise dans la source commune des civilisations antiques qui ont fleuri sur les bords de la Méditerranée. C'est elle qui préserva de la destruction te remit à l'Europe le legs lumineux de la civilisation gréco-romaine. L'expansion de l'Islam.

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